samedi 29 janvier 2011

Parution de la traduction française du classique de Watsuji Tetsurô, Fûdo

Parution de la traduction française du classique de Watsuji Tetsurô, Fûdo (和辻哲郎著『風土.人間学的考察』1935) :
WATSUJI Tetsurô, Fûdo. Le milieu humain, traduction et commentaire par Augustin Berque, avec le concours de Pauline Couteau et Kuroda Akinobu, Paris, Editions du CNRS, 2011.

Détail de la 4e de couverture :

WATSUJI Tetsurô (1889-1960) est, avec NISHIDA Kitarô (1870-1945), le plus grand nom de la philosophie japonaise au XXe siècle. Son œuvre majeure est son Éthique, somme en trois volumes dont la publication s’est échelonnée de la veille au lendemain de la seconde guerre mondiale ; mais la plus connue est certainement Fûdo, essai publié en 1935, et dont les idées principales font justement partie du cadrage théorique de l’Éthique.

Fûdo est un essai sur la relation des cultures avec leur environnement géographique, envisagé notamment sous l’angle du climat. Il se rattache ainsi à première vue à la théorie de l’influence des climats, dont l’histoire est longue. Or le point de vue de Watsuji est radicalement neuf. Écartant d’emblée le déterminisme environnemental, qui considère en principe de l’extérieur le rapport entre nature et culture, il se place au contraire du point de vue d’une herméneutique des phénomènes climatiques (et autres manifestations de la nature) ; c’est-à-dire qu’il veut saisir de l’intérieur la manière dont les sujets humains vivent leur environnement, et comment ils expriment cette relation.

Ce point de vue a été influencé par l’ontologie herméneutique de Heidegger, mais s’en distingue sur deux points essentiels. D’abord, contrairement à Être et temps, Watsuji ne subordonne pas la spatialité à la temporalité : pour lui, le milieu (fûdo, la spatialité concrète) incarne l’histoire (la temporalité concrète), laquelle met en œuvre le milieu. Ensuite, il montre que l’être-là (Dasein) heideggérien n’est en somme qu’un être individuel, alors que pour lui, l’humain est, indissociablement, à la fois individuel et social.

Ce point de vue est cristallisé par le concept révolutionnaire de fûdosei (médiance), que Watsuji définit comme « le moment structurel de l’existence humaine » – « moment » étant ici entendu comme le couplage dynamique des deux versants de l’être humain, l’un qui est individuel, et l’autre collectif : le milieu (fûdo), ce tissu relationnel qui nous lie nécessairement à nos semblables et aux choses qui nous entourent.
Les deux premières lignes de Fudô

Sur ces bases, Watsuji montre que l’humain est un « être-vers-la-vie » (sei e no sonzai), et non pas seulement un « être-vers-la-mort » (Sein zum Tode) comme le Dasein heideggérien. Mais avant tout, Fûdo est une extraordinaire plongée intuitive dans le vécu des milieux humains, des fraîches matinées du printemps japonais aux mornes journées d’hiver de l’Europe occidentale, en passant par les plaines immenses de la Chine du Nord, la moiteur des nuits de Singapour, les montagnes décharnées du désert arabique, les eaux trop « arides » de la Méditerranée...