samedi 5 mars 2011

Le 'umran d'Ibn Khaldun: approche mésologique / Djamel Chabane

Une représentation de la Mecque
Une représentation de la Mecque (XVIe-XVIIe s.)
Museum of Islamic Art, Cairo, Egypt
(source)
Séminaire "Poétique de la Terre" : compte rendu de la séance du vendredi 4 mars 2011

M. Djamel Chabane, architecte et anthropologue, Maître de conférences à l'Université de Bejaïa (Bougie), a donné sa première conférence sur Ibn Khaldûn : "Le 'umran d'Ibn Khaldun: nouvelle lecture (approche mésologique)". Un résumé de cette conférence sera prochainement diffusé.
La discussion qui a suivi portait principalement sur la difficulté de traduire le concept de 'umran en français : vaut-il mieux le rendre par "civilisation" (comme il est d'usage) ou par "urbanisation", comme le propose M. Chabane en se référant à l'emploi de ce terme par Ildefons Cerdá (l'inventeur de la notion d'urbanisme, et réalisateur de l'Eixample, le fameux plan d'extension de Barcelone) dans sa Teoría General de la Urbanización (1867) ?

Première conférence : Le ‘umrân d’Ibn Khaldûn nouvelle lecture (approche mésologique)

Ibn Khaldûn Né à Tunis en 1332, il mourut au Caire en 1406. Lettré, il passe une partie de son existence mouvementée à la cour mérinide, remplissant diverses fonctions politiques, plus ou moins éphémères, auprès des sultans de Tunis et de Fès, de Grenade et de Bougie. Ses multiples fonctions lui donnent l'occasion d'étudier de près les phénomènes de désagrégation politique et sociale qui touchent le Maghreb et l'Andalousie de l'époque. Lassé par les intrigues politiques, il se réfugie pendant quatre années, avec sa famille, dans l'actuelle ville de Frenda (Tiaret) en Algérie, et se consacre à l'écriture de son principal ouvrage. Aux alentours de 1378 il achève la Muqaddima, sa vaste Introduction à son grand œuvre l’Histoire Universelle «Kitâb al-‘Ibar».

Ibn Khaldûn fonde sa science nouvelle sur une anthropologie du savoir dont la révélation est le mode de connaissance. « Quant à nous, Dieu nous a favorisé de Son inspiration. Il nous a fait découvrir une science dont Il nous a fait l’interprète sincère et exact ». Mais, pour ce qui est du monde visible, il s’en tient à l’analyse rationnelle. De proche en proche, en méditant sur la méthode et la manière de l’histoire, il sera amené, en toute conscience, à créer ce qu’il appelle sa «science nouvelle» (‘ilm mustanbat an-nasha’), qui se révélera elle-même comme contenant plus ou moins implicitement les points de départ de plusieurs directions de recherche.

Obra autografiada de Ibn
Jaldún (Quintaesencia del
Conocimiento
)
La valeur de l’œuvre d’Ibn Khaldûn procède essentiellement de la finesse de son analyse des structures sociales et politiques du Maghreb médiéval. Les études consacrées à l’étude de sa pensée oscillent entre des études partielles sur tel ou tel aspect qu’on croit important, ou des études qui tentent d’établir des parallèles entre Ibn Khaldûn et des penseurs occidentaux d’une façon formelle et superficielle, sans arriver à poser le problème de fond de la Muqaddima et percer son mystère. La pensée du ‘umrân d’Ibn Khaldûn peut être confrontée et étudiée à travers les théories de l’urbanisme qui ont prie naissance à la fin du XIXeme siècle et se sont développées durant le XXe siècle. La traduction du ‘umrân par « urbanisation », ce qui est tout à fait logique, peut être une nouvelle approche d’étude de la Muqaddima et un enrichissement du concept de l’urbanisme comme il se définit dans la tradition occidentale.

La pensée d’Ibn Khaldûn ne se rattache à aucun courant précis de la pensée musulmane, car sa pensée représente une mutation radicale dans l’histoire du dâr al-Islâm et celle de l’histoire universelle. Il est à la fois comme disait Y. Lacoste : « un croyant orthodoxe et mystique et un très grand penseur rationaliste ; il apparaît ainsi comme une sorte de miracle ». La pensée du ‘umrân est une phénoménologie de l’esprit et une conscience de soi qui se réalise dans l’expérience historique. A partir de là, retrouver le cheminement de la pensée de l’auteur et actualiser son essence doit être le point de départ de notre réflexion. La tâche sera malaisée et parfois difficile, car il nous faudra reprendre bien des questions à leur base même, en faisant table rase de toutes les interprétations antérieures, et faire renaître une pensée et une conscience qui est passée à la marge de l’histoire il y a maintenant six siècles. Par conséquent une approche mésologique de la Muqaddima peut ouvrir un nouveau débat sur la pensée d’Ibn Khaldûn.
Lectures conseillées

CERDA Ildefonso, La théorie générale de l'urbanisation, Paris, Seuil, 1979.
CHABANE Djamel, La théorie du Umran chez Ibn Khaldoun, Alger, Office des publications universitaires, 2003.
CHEDDADI Abdesselam, Ibn Khaldûn. L'homme et le théoricien de la civilisation, Paris, Gallimard, 2006.

N.d.w. : accessibles en ligne, Les prolégomènes (Muqaddima) d'Ibn Khalduoun ; ‘Umran, politique et civilisation selon Ibn Khaldoun par Réda Benkirane.

Texte corrélatif : À l’école des toupayes

Compte rendu (par Augustin Berque) de l'ouvrage de Heiner Mühlmann, La nature des cultures. Essai d’une théorie génétique de la culture, suivi de CSM – Coopération sous stress maximal. Marseille, Éditions Parenthèses, 2010, 222 p.