dimanche 13 mars 2011

Le ‘umrân et la cosmologie / Djamel Cabane

Harmonia Macrocosmica Andreas Cellarius
Harmonia Macrocosmica 
(Andreas Cellarius 1708)
Séminaire "Poétique de la Terre". Compte rendu de la séance du vendredi 11mars 2011 : 3e conférence de M. Djamel Chabane. Vous trouverez ci-après le résumé, intitulé "Le ‘umrân et la cosmologie".

Dans la discussion qui a suivi, A. Berque a souligné la nécessité de ne pas confondre l'approche phénoménologique et l'approche physique des phénomènes. Lorsque Husserl pose que "la terre (Erde) ne se meut pas", il signifie que le sol (Boden) qui fonde notre expérience ne peut pas être réduit à un corps (Körper) céleste comme les autres, ce qu'il est pour la physique (i.e. une planète gravitant comme les autres autour du Soleil). Ce faisant, Husserl ne réfute pas Galilée
; il veut dire que les objets du dualisme, en ce qu'il font abstraction de l'existence humaine, ne sont pas la réalité humaine. Il n'en revient pas au géocentrisme ; au contraire, il veut aller au delà de l'héliocentrisme, en dépassant le réductionnisme mécaniciste, qui est incapable de prendre en compte la terre comme sol de notre existence.


De même, l'objectif que se donne la mésologie n'est nullement d'en revenir au géocentrisme précopernicien. C'est d'arriver à une synthèse complexe, permettant de tenir compte à la fois du parti de Husserl et de celui de Galilée ; i.e. à la fois de la singularité de la terre comme sol phénoménologique et de l'universalité de la Terre comme planète physique. C'est en ce sens que la mésologie cherche à reconstruire la cosmicité que le mécanicisme nous a fait perdre en excluant de son univers la subjectité de l'existence humaine ; pas comme un retour au géocentrisme ptoléméen.

Cette "synthèse complexe" demande entre autres une "méso-logique", i.e. une logique du milieu, dépassant le principe du tiers exclu et permettant donc de concilier A ("la terre ne se meut pas") et non-A ("et pourtant, elle tourne") ; l'idée de base étant que la réalité, c'est justement cette conciliation paradoxale et non pas soit A, soit non-A. Une tentative en ce sens sera présentée dans les séances du 1er avril et du 8 avril, à propos du livre d'YAMAUCHI Tokuryû, Logos et lemme 内山得立著『ロゴスとレンマ』岩波書店, 1974.

Lectures conseillées

- HUSSERL Edmund, La terre ne se meut pas, Paris, Minuit, 1989 (Unsere Ur-Arche Erde bewegt sich nicht, 1934).
- RICARD Matthieu et TRINH Xuan Thuan, L'infini dans la paume de la main. Le moine et l'astrophysicien, Paris, Fayard, 2000.

Texte corrélatif

V. fichier ci-joint "C comme cosmologie"

Troisième conférence : Le ‘umrân et la cosmologie

Pour Ibn Khaldûn l’univers est de nature physique et spirituelle. La nature physique intervient dans l’histoire universelle, c’est un rapport fondamental de la détermination naturelle. L’Esprit et le cours de son développement sont la substance. Nous n’avons pas à considérer la nature en elle-même, comme système de la raison, comme élément particulier spécifique, mais seulement relativement à l’Esprit. Le domaine de l’esprit s’étend partout ; il enveloppe tout ce qui a suscité et suscite encore l’intérêt de l’homme. L’homme y est actif. Quoiqu’il fasse il est l’être en qui l’Esprit se réalise. Il y a donc intérêt à connaître dans le processus historique la nature spirituelle dans son mode d’existence, c’est-à-dire la manière dont l’esprit s’unit avec la nature, donc avec la nature humaine. Dans cette conception du monde, l’Histoire universelle n’est que l’image de l’Esprit qui se réalise dans le temps.

Pour Ibn Khaldûn, l’univers n’est pas un amas de choses, mais un système formé de sous-systèmes qui agissent les uns sur les autres comme de simples éléments. Ce qui se passe dans un lieu dépend de la totalité des lieux qui composent l’espace qui est ‘umrân al-‘alam. Le fondement épistémologique de la pensée d’Ibn Khaldûn se fonde sur une vision unitaire le la connaissance et de l’Être, il écrit : « L’univers, avec sa hiérarchie d’éléments simples et complexes, suit un ordre naturel, de haut en bas, de façon que tout ne fasse qu’un, une union inséparable ». Par conséquent « tout ce qui est en dehors de vous, si vous l’observez et vous le méditez vous voyez entre vous et lui une union à l’origine, ce qui prouve votre union avec l’existence ».

On ne peut saisir l’essence, le contenu, l’unité qualitative d’une chose par un processus progressif de mesure, mais seulement par une « vision » globale et immédiate. Le contenu qualitatif des choses n’appartient pas à la matière, celle-ci n’est pour lui qu’un miroir où il peut être aperçu sans qu’il soit cependant limité au plan matériel. Ce que les anciens appelaient « l’image » d’une chose ne joue pratiquement aucun rôle dans la science moderne. C’est d’ailleurs pour cette raison que science et art, synonymes à l’époque pré-rationnaliste, sont maintenant strictement séparés l’un de l’autre ; et c’est encore pour la même raison que la beauté, en regard de la science moderne, n’ouvre pas la moindre passerelle vers la connaissance.

La vision unitaire des choses se fonde sur l’analogie entre l’univers (le macrocosme) et l’homme (le microcosme), analogie dont l’axe ou la clef de voûte est l’Esprit ou l’intellect universel, première « émanation » de l’Un absolu. Car « le monde contingent existe dans les intelligences en dehors du temps ». L’univers et l’homme se reflètent l’un l’autre : tout ce qui se trouve dans l’un, doit aussi en quelque manière, se retrouver dans l’autre. On comprendra mieux cette correspondance si on la ramène, provisoirement en quelque sorte, à la relation entre sujet et objet, connaissant et connu : le monde en tant qu’objet apparaît dans le miroir du sujet humain ; on ne saurait le percevoir en dehors de ce dernier. Tandis que le sujet ou le miroir n’apparaît que parce qu’il reflète, on peut distinguer les deux pôles, mais on ne peut guère les séparer : il n’existe pas d’objet sans sujet, ni celui-ci sans celui-là.